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Changer de steak

Si l’image terne d’un ascétisme végan persiste, une toute nouvelle génération de start-up, venue évidemment de la côte ouest des États-Unis, compte bien bousculer nos habitudes carnassières grâce à des substituts végétaux très alléchants. Une nouvelle révolution.
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«Je vais essayer de devenir végan. Vous avez bien entendu.» Ce tweet, publié en avril dernier, est signé Gordon Ramsay. Un coup d’éclat sans précédent pour un chef multi-étoilé qui, après des années à se payer la tête des végétariens dans ses émissions télévisées, opère un virage à 180 degrés et semble vouloir abandonner toute consommation de produits d’origine animale. Et il n’est pas seul! Selon l’entreprise américaine Global Data, le nombre de nouveaux végans aux États-Unis aurait augmenté de 600% en quatre ans, un constat global renforcé par d’autres études à travers le monde, comme celle délivrée par le site Comparethemarket.com, qui estime le nombre de végans au Royaume-Uni à 3,5 millions de personnes, contre 540’000 en 2015. Les raisons: la recherche d’un mode de vie plus sain, les nombreuses et successives polémiques sur le bien-être animal et l’inquiétude croissante face au réchauffement climatique, dramatiquement accéléré par l’élevage intensif (responsable à lui seul de 15% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit plus que l’industrie des transports). Plus question de parler de niche ou de mouvement alternatif donc, le véganisme fait désormais partie intégrante du lifestyle millennial. Et ce d’autant plus que ce développement ultrarapide s’accompagne d’un tout nouveau segment en termes de goût, à savoir la création de nouveaux produits capables d’imiter la viande à la quasiperfection. Plus d’excuses.
 

La junkfood s'y met 
Oublions pour de bon l’image d’un Woody Allen commandant dans «Annie Hall» une assiette de luzerne et de levure en purée. La nouvelle garde du régime plant-based gagne désormais jusqu’aux fast-foods américains. En tête de liste, les chaînes de burgers White Castle, Umami ou encore Fatburger, qui proposent depuis peu, dans leurs sandwichs végans, non pas un substitut spongieux à base de champignon Portobello, mais un vrai steak charnu et grillé, conçu avec un mélange de blé, de pommes de terre et d’huile de noix de coco auquel s’ajoute la levure d’hème, composant végétal de l’hémoglobine issu du soja, capable de rendre le tout saignant comme un vrai patty. Son nom? L’Impossible Burger, concentré de recherches signé par la firme de la Silicon Valley Impossible Foods, fondée en 2011, et dont les premières créations – une recette unique pour l’instant – étaient prêtes à être dévorées cinq ans plus tard. Soutenue par Bill Gates et Google, la société, qui vient de s’implanter en Asie, a écoulé 1,3 million de burgers en 2017 et déjà plus du double depuis le début de l’année 2018.
 

«Comparé aux steacks bovins, notre burger utilise 74% d’eau en moins, nécessite 95% de terres cultivées en moins et pro- duit 87% de gaz à effet de serre en moins», explique son fondateur, Pat Brown, dont l’objectif non dissimulé est de remplacer, d’ici à 2035, la quasitotalité de l’élevage animal mondial par des substituts végétaux. «Impossible Foods a été fondée dans le but de prendre le pas sur l’industrie de l’élevage grâce aux dernières technologies, reprend-il. Et notre centre de recherches nous permettra bientôt de com- prendre et de recréer à l’identique toutes formes de produits d’origine animale, que ce soit la viande, les laitages ou le poisson, le tout en utilisant uniquement les plantes et en s’adaptant aux besoins culturels de chaque région du monde.» Derrière la hype et les visuels léchés, l’entreprise a donc franchement l’intention de conquérir le monde. 
 

Mais la concurrence est rude. Selon le magazine «Forbes», le business végan représenterait l’un des plus intéressants du marché: «La prolifération continue des succès dans l’industrie plant-based au cours des dernières années prouve que le mouvement commence à prendre ses marques grâce à une poignée d’entrepreneurs», peut-on lire dans un article publié en décembre dernier, et s’appuyant sur les dernières statistiques. Au premier plan de ce secteur en pleine expansion, il y a le domaine de la clean meat, dominé par Impossible Foods et par d’autres, comme la société Beyond Meat, fondée en Californie en 2009 et soutenue par Leonardo DiCaprio, dont les dernières innovations sont capables d’imiter la viande de bœuf, de porc ou la chair de la volaille dans des produits désormais proposés dans 7000 supermarchés à travers les États-Unis. Testés d’abord au Royaume-Uni de- puis cette année, les steaks hachés, filets de poulet et une recette à base de plantes, tous entièrement végétaux, devraient faire leur apparition dans la foulée dans d’autres pays d’Europe. Encore plus encourageant, le groupe allemand PHW, l’un des plus grands producteurs de volailles en Europe, a prévu d’accompagner ce développement en annonçant la signature d’un partenariat avec Beyond Meat.
 

Selon une étude publiée en avril dernier par Researchandmarkets.com, le marché mondial des substituts à la viande devrait atteindre 6,5 milliards de dollars d’ici à 2023. En ligne de mire, le tofu, le seitan, assemblage d’épeautre ou de protéine de blé, le Quorn, à base de protéines de champignon fermenté, et surtout le tempeh, concentré de soja fermenté consommé en Asie depuis plusieurs siècles et dont le développement devrait être le plus rapide de tous, «grâce à ses bienfaits sur les anticorps, à sa capacité à réduire le taux de sucre et de cholestérol dans le sang et à son action sur le tissu musculaire». Une révolution bien en marche, suffisamment importante pour effrayer les géants de l’élevage. Une tendance confirmée par l’augmentation du nombre de «flexitariens», comprendre les adeptes d’un régime moins contraignant, consistant à réduire au minimum sa consommation de produits issus des animaux sans pour autant y renoncer – un choix qui peut aussi s’expliquer par la crainte de carences, en vitamine B12 par exemple. Une approche moins punitive et contraignante, facilitée justement par l’arrivée de ces nouveaux substituts végétaux et, dans cer- tains restaurants récemment, de la tendance healthyish, débarquée évidemment de Californie, mêlant comfort food et produits végans grillés, mijotés et travaillés comme des viandes. De l’autre côté de l’Atlantique, on mise désormais sur l’effiloché du fruit du jacquier pour remplacer le porc mariné, sur l’écorce de coco et le tempeh pour se substituer au lard, ou encore sur du tofu soyeux pour recréer le chorizo, de nouvelles offres parisiennes permettent, timidement, de se mettre à la clean meat. Encourageant. 

Burger réalisé sans aucune matière animale.
Burger réalisé sans aucune matière animale.

La seafood en ligne de mire 
Peut-on aller plus loin encore dans la création de substituts? Évidemment, puisqu’on parle de la Silicon Valley. Nouvelles alternatives à l’alternative, le poisson et les crustacés sont les derniers objets d’expérimentation. Alors que les enquêtes successives prouvent que plus d’un tiers des poissons pêchés en mer ne seront jamais consommés et que l’élevage en pisciculture, même bio, entraîne l’utilisation d’antibiotiques et de pesticides, de jeunes start-up ont mis au point des recettes de «poissons sans poisson», afin de répondre à la double problématique de la santé et de l’environnement. C’est le cas de Terramino, dont les produits devraient entrer sur le marché américain d’ici peu. Son créneau? Un pavé de «saumon» entièrement végétal, préparé à base d’algues et de champignon koji, capable de repro- duire la texture grasse de la chair du saumon. Selon Fast Company, les apports nutritionnels seraient au moins équivalents à ceux du poisson, l’apport graisseux en moins. Plus impressionnant encore, la jeune boîte Ocean Hugger Foods, fondée par le chef américain James Corwell. Alarmé par la surpêche du thon rouge, il a mis au point l’Ahimi, une recette plant-based susceptible de remplacer la chair crue utilisée dans les sushis, sashimis, rolls et bowls, grâce à un alliage de tomate, de sauce soja, de sucre et de sésame. Une prouesse technique déjà disponible dans une poignée de Whole Foods outre-Atlantique et, bientôt, dans un service de restauration estudiantine. Une démocratisation progressive mais indéniable.
 

Mais, avec la progression de telles innovations destinées à convertir les omnivores à un régime plus durable et plus sain, des végans de la première heure pointent une autre problématique: ces substituts cherchant à imiter la chair animale ne contribuent-ils pas, au contraire, à perpétuer l’image de la viande dans l’imaginaire collectif? Devrions-nous remplacer la viande par de la simili-viande ou au contraire apprendre à trouver un nouvel équilibre alimentaire sans l’idée du burger, du hot-dog ou du poulet frit? Si la question éthique mérite d’être posée, la tendance food de fond, elle, semble bien pencher du côté de la première proposition. 

Ces substituts cherchant à imiter la chair animale ne contribuent-ils pas à perpétuer l’image de la viande dans l’imaginaire collectif?

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