Weyes Blood : "J’ai des rêves un peu fous"
Cardigan en mohair rose, pantalon jaune poussin, longs cheveux bruns et lisses, visage de poupée énigmatique: Natalie Mering ne laisse personne indifférent. Au même titre que sa pop indie à l’aura quasi liturgique. C’est pour cette raison qu’à Paris, en ce jour où elle passe en coup de vent pour par- ler de son nouvel album, toutes les demandes d’interviews n’ont pu être satisfaites. L’heure de la consécration semble enfin être arrivée pour Weyes Blood.
Née il y a 31 ans en Californie, Natalie grandit en Pennsylvanie au son de la musique religieuse qu’écoutent ses parents. Tous deux appartiennent au courant Born Again Christians, et encouragent leur fille à chanter dans les chorales. L’adolescence venue, elle enregistre ses premiers morceaux et choisit un nom de scène en référence au titre d’un des romans de l’écrivaine sudiste Flannery O’Connor, Wise Blood. Parce qu’en plus d’être multi-instrumentiste, Natalie s’intéresse à peu près à tout. Au théâtre absurde, à l’art expérimental ou à la peinture, qu’elle considère comme “l’alter ego de la musique car elle peut être abstraite ou impressionniste et parfois mélange tout en même temps”. Au-delà des grandes envolées lyriques et de l’orchestration luxuriante de Titanic Rising, le message de Natalie est aussi intime que politisé. D’abord parce qu’elle évoque ses histoires d’amour avec une sincérité sans fards qui convoque l’écriture d’une autre grande songwriteuse, Joni Mitchell. “J’ai toujours voulu faire un album plus grand que mes ressentis car j’ai ten- dance à avoir des sentiments intenses pour le monde entier, sourit-elle. Écrire me permet de canaliser mes peurs existentielles.” Lorsqu’on lui demande si elle a déjà essayé la psychanalyse, elle répond malicieusement: “J’ai vu des thérapeutes mais je n’ai jamais été analysée. Je serais très curieuse de le faire, car j’ai des rêves un peu fous.” Ceux-ci doivent se retrouver dans ses chansons à l’ambiance onirique, néanmoins habitées par son regard de trentenaire sur le monde à la fois euphorisant par ses constantes évolutions, et terrifiant par son processus de décomposition écologique: “D’après moi, l’être humain a une capacité de survie dans des circonstances extrêmes, épidémies de peste ou guerres mondiales, et peut réussir à retrouver le sourire. Si j’ai un jour des enfants, leur environnement sera tellement… atomique!” D’ailleurs, si Natalie a baptisé son disque Titanic Rising, c’est non seulement en référence au film de James Cameron qui l’enchantait petite, mais également parce qu’elle voit dans ce célèbre naufrage un parallèle avec notre situation actuelle. “C’est tellement ironique qu’un Titanic ait été anéanti par un iceberg, et que nous fassions aujourd’hui fondre la calotte glaciaire… Dans les deux cas, ce sont les plus pauvres d’entre nous qui seront submergés par les eaux.”
Qu’on ne se méprenne pas cependant: Natalie Mering n’est pas une activiste, juste une jeune femme consciente des enjeux de son temps. Y compris le féminisme. Après les années lycée, Natalie a navigué de groupes en groupes, entre Portland et Los Angeles, où elle vit désormais, et a fait ses armes sur d’innombrables scènes. Très vite, elle a compris qu’elle devait s’imposer, surtout dans une industrie majoritairement masculine. “J’ai dû en surmonter des traumas et des doutes, confie-t-elle. Lors de ma première tournée, un mec de mon équipe, que je pensais être un ami, m’a harcelée pour coucher avec moi. Il me répétait que si je ne cédais pas, ce serait la ‘tournée de l’enfer’! Mon père était si respectueux des femmes que j’ai abordé ma vie professionnelle avec une naïveté qui m’a joué bien des tours. Depuis, je suis mieux entourée et, surtout, je repère plus vite les machos abusifs, quitte à ce qu’ils fassent courir le bruit que je suis une ‘crazy bitch’!”
Comme Los Angeles abritait jadis des cercles d’amis formés par Linda Ronstadt, Neil Young, Joni Mitchell, Frank Zappa ou Graham Nash, Natalie évolue aujourd’hui dans une galaxie californienne où gravitent Jonathan Wilson, Drugdealer, Ariel Pink ou encore Foxygen – dont le cofondateur, Jonathan Rado, a produit Titanic Rising. Et si elle n’avait pas été musicienne? “J’aurais sans doute choisi un métier bizarre, réalisatrice ou biologiste marine, pour passer ma vie à nettoyer les océans.” Nous, on la préfère sur terre, Natalie, même si sa voix nous transporte aussi bien dans les contrées célestes qu’au fond des eaux profondes. “Titanic Rising”, de Weyes Blood, (suB PoP). en concert le 2 mai à la maroquinerie, à Paris.