Interview at Tiffany's
L’OFFICIEL Suisse: Tiffany vient de rouvrir les portes de sa boutique zurichoise – qu’y a-t-il de changé?
NICOLA ANDREATTA: La boutique, je la découvre moi aussi aujourd’hui dans son état nal. Et je suis heureux de constater que cette réalisation cor- respond en tous points à la nouvelle identité visuelle de Ti any. Les nouveaux matériaux ont été mis en scène avec une grande élégance, l’atmosphère qui se dégage des lieux est accueillante tout autant que chaleureuse. On s’y sent immédiatement chez soi. A la différence, justement, de l’expérience que l’on fait parfois dans les magasins de certains de nos concurrents, où, à force de luxe trop ostentatoire, il arrive que l’on se sente légèrement intimidé. Ici, vous pouvez avoir l’impression d’être un habitué des lieux. Dès la première visite.
Y a-t-il eu des aménagements particuliers dus au lancement de votre collection de montres, en 2013?
Les réaménagements ont été réalisés en premier lieu parce que la boutique n’avait pas été rénovée depuis 23 ans. Chacune de nos boutiques dans le monde mérite, de temps à autre, une jolie rénovation. Et bien sûr, l’atten- tion particulière que nous accordons à certains segments actuellement en plein essor justi e les choix d’aménagement que nous avons faits pour notre magasin. Effectivement, les montres sont l’un de nos secteurs les plus dynamiques. Il a donc fallu leur faire davantage de place. Accorder plus d’espace et de visibilité à une branche en progression est tout naturel. Comme nous nous adressons plus particulière- ment aux hommes avec l’horlogerie, il a fallu prendre en compte leur sensibi- lité et leurs attentes spéci ques. C’est un tout autre univers. Avec le temps, Ti any était devenu une marque très fémininement connotée. Ce qu’elle n’était pas à l’origine. Si vous voulez séduire les hommes, il vous faut leur proposer une toute autre expérience, il faut associer la marque à un tout autre feeling. Dans la mesure du pos- sible, nous aménageons désormais des salons entièrement dédiés aux montres – comme c’est le cas à Genève, histoire d’o rir aux hommes un espace où ils retrouvent leurs codes, en particulier dans l’aménagement et la décoration, et où ils se sentent ainsi parfaitement à leur aise. Ce qui est moins le cas dans un cadre davantage «bling-bling». A ce qu’il me semble.
A New York, Tiffany est aussi devenu une attraction touristique. Ce n’est probablement pas le lieu où vous vendez le plus de créations joaillères...
Tiffany, en tant que marque de luxe, atteint un public bien plus large que nombre de ses concurrents, souvent beaucoup plus exclusifs. Nous sommes ers, justement, de la diversité de notre clientèle et de contribuer ainsi à la «démocratisation» d’un certain luxe. Lorsque vous entrez dans notre agship store, à New York, vous n’y croisez pas seulement les plus riches des plus riches, mais des gens de tous les milieux. Tiffany est la maison de l’amour, du romantisme, une maison où vous trouverez toute une large palette d’objets magni ques. Sans que le prix soit forcément la première chose qui vous vienne à l’esprit.
Comparé aux bijoux, quel est, en moyenne, votre chiffre d’affaires en horlogerie dans votre boutique new-yorkaise?
Ne parlons pas de chi res de cette façon, si vous le voulez bien. Nous sommes côtés en bourse, n’est-ce pas? Pour nous, ce qui compte, c’est plutôt que la vente en horlogerie représente, d’ici une dizaine d’années, à peu près le dixième de notre chi re d’a aires. Et c’est un beau dé que nous nous lan- çons. Cela signi erait alors que nous ferions partie des 50 plus grandes marques d’horlogerie internationales. Une belle performance en perspective.
Proposez-vous les mêmes produits en Europe et aux États-Unis?
Notre maison et notre succès sont construits sur trois piliers principaux et, à cet égard, nos produits sont les mêmes partout dans le monde. C’est une démarche conséquente de notre part, car il est important que l’ADN de notre marque reste inchangé à travers le temps et quel que soit le lieu où nous la proposons. Concernant l’horlogerie, il s’agit d’un segment que nous cher- chons à mettre en avant, renouant, ce faisant, avec notre histoire. Et c’est précisément la crédibilité qui était la nôtre dans ce domaine, il y a 179 ans de cela, que nous aspirons à regagner. Je n’étais, certes, pas encore là à l’époque, mais notre maison était déjà dans cette branche un acteur de tout pre- mier plan! Pour faire simple, je dirais donc qu’à 90 pourcents notre o re est identique partout dans le monde. Natu- rellement, nous avons des boutiques aux pro ls légèrement di érents. En fonction de leur taille, bien sûr. Ce à quoi viennent également s’ajouter des produits spéci ques correspondant aux attentes de certains marchés et aux goûts particuliers de certains clients.
Pourquoi les premières montres Ti any ont-elles vu le jour à Genève, en 1876?
Quand on y songe: quitter les États-Unis pour venir s’installer à Genève... Quelle aventure cela a dû être, à l’époque, pour Charles Lewis Ti any! Venir de si loin pour prendre la direction de la plus grande manufacture horlo- gère de Genève, en plein cœur de la ville... C’est vraiment très impression- nant. Une bien belle manufacture –qui fut revendue à Patek Philippe en 1981.
Vos créations horlogères témoignent- elles de cet héritage?
Nous n’aspirons pas à ressusciter un look rétro. Ce qui compte, c’est de nous reconnecter avec l’ADN profond de notre marque, celui-là même qui fonde l’identité de Ti any & Co. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé que ces anciens modèles de montres, qui sont tout un pan de notre histoire, devaient surtout et avant tout être des sources d’inspiration avec pour objectif la création de nouvelles pièces, adaptées aux évolutions du présent et aux dé s du futur. C’est cette signature propre, incomparable, que nous travaillons à ressusciter à travers notre design. Nous sommes en e et à la fois new-yorkais et suisses – c’est à New York que notre marque a vu le jour et notre horlogerie est à 100% de fabrication suisse.
Faut-il en conclure que la nouvelle loi régulant le label «Swiss made» et imposant que 60% des produits soient e ectivement de fabrication suisse n’est pas une contrainte pour vous?
Non. Absolument pas. Lorsque nous avons été informés de ce projet de loi, nous avons pris les devants et aussi la décision stratégique de transférer l’in- tégralité de notre production horlogère en Suisse.
Vous êtes né dans une famille d’horlogers...
Je suis le descendant d’une dynastie d’horlogers, propriétaires de fabriques dans le Tessin ainsi qu’en Italie, en e et. Mon père est italien et ma mère suissesse. Je suis donc l’héritier d’une double tradition et d’une double culture, ce qui n’est pas toujours simple, quoique je me réjouisse à bien des égards de ce mariage des contrastes. A vrai dire, mon père espérait que je m’engagerais dans une autre voie que l’horlogerie mais je ne me suis jamais vraiment senti chez moi dans la nance. C’est un univers trop arti ciel pour moi. J’ai commencé par des études de gestion avant d’obtenir un master en nances. J’ai surtout eu la chance de passer mon enfance au cœur de manufactures horlogères, au beau milieu des fabriques où je pouvais observer tout ce qui se passait et voir les artisans à l’œuvre. Je connais donc très concrètement, intimement, chaque étape de la fabrication horlogère et par conséquent aussi la fonction de chaque employé dans mon entreprise actuelle. Grâce à cette expérience, je suis en mesure de suivre chaque étape de la production, je comprends les buts recherchés en matière de design et les moyens qu’il faut se donner pour les atteindre... Le fait, par ailleurs, d’avoir moi-même été entrepreneur, avec ma propre entreprise, m’aide aussi énormément. Je retrouve, chez Ti any, un authentique esprit d’entreprise que je partage en tous points, avec le support nancier et les possibilités qu’o re une maison d’aussi grand renom.